Ce que l’on doit à Antoine Valois-Fortier | Alliance Sport-Études

Photo : Fédération internationale de judo

Je lis les articles qui parlent de la fin du chapitre qu’Antoine Valois-Fortier a consacré à sa vie d’athlète et je me considère bien chanceux d’avoir pu en être témoin.

Je ne suis pas du tout un spécialiste du judo alors je fais pleinement confiance à Nicolas Gill, qui a été son entraîneur et mentor et qui demeure le grand manitou du judo au Canada, lorsqu’il affirme que les résultats d’Antoine sur la scène internationale et son attitude exemplaire à l’entraînement ont constitué une base solide sur laquelle le judo canadien a pu se développer dans les dix dernières années.

Je ne suis pas du tout un journaliste sportif alors je fais pleinement confiance à ceux qui ont souligné les moments marquants de son parcours d’athlète, ponctué entre autres de victoires surprises ou spectaculaires, de défaites amères ou résignées et de blessures qui font mal au corps et aux ambitions.

Ce sont surtout d’autres aspects autour de la retraite d’Antoine qui m’ont rassuré quant à la valeur du sport alors qu’il n’y a pas une semaine qui passe sans qu’il ne se présente dans les médias par son côté sombre et malheureusement bien réel.

Par déformation professionnelle, je commencerais, mais que brièvement, par souligner que le parcours d’Antoine n’est pas seulement celui d’un athlète, mais d’un étudiant-athlète. Il a poursuivi des études tout au long de son aventure sportive et je suis sûr qu’il confirmerait que cela a été bénéfique pour lui, autant pendant sa carrière d’athlète que pour bien préparer sa carrière d’entraîneur, dans laquelle il peut déjà plonger avec toutes les connaissances et compétences nécessaires. Soucieux de maintenir un certain équilibre de vie dans son quotidien d’athlète, on peut imaginer qu’il sera en ce sens un modèle et un bon conseiller pour les jeunes judokas qu’il va bientôt entraîner et accompagner.

J’ai aussi envie de souligner, à travers Antoine, que le sport de haut niveau peut faire coexister l’effort et le plaisir dans un contexte qui est, même si plus favorable qu’avant, plus frugal et routinier que flamboyant et clinquant. Le sport de haut niveau pratiqué par Antoine, il est professionnel beaucoup plus par la rigueur que par le salaire. Un sport qui fait souffrir pendant et après les entraînements et qui fait sans doute au moins autant souffrir pendant et après les combats. Mais ces petites (et parfois grandes) douleurs n’ont pas empêché Antoine de répondre à Simon Drouin, tel que rapporté dans son article du 2 décembre paru dans La Presse, que ce qu’il retient de son parcours, c’est qu’il a eu énormément de plaisir.

Moi qui étais déjà admirateur d’Antoine, encore plus pour son humanité en général que pour ses exploits sportifs en particulier (je me répète, je ne connais pas vraiment le judo), il m’a convaincu hier que mon admiration avait bien visé lorsque j’ai lu, dans le même article, ses propos sages et rafraîchissants, qui pourraient paraître simplistes, mais qui deviennent tellement crédibles lorsqu’énoncés par un athlète comme lui, qui a intensément franchi les années de développement, trois cycles olympiques, les blessures et opérations, les réhabilitations: « On décrit souvent les athlètes comme des gens qui ont tout sacrifié, qui font des efforts au quotidien et bla-bla-bla. Moi, j’ai juste tellement eu de fun que j’ai parfois de la misère avec ce discours-là. J’ai envie de dire : hey, moi, j’avais vraiment du fun à m’entraîner fort toutes les semaines avec la gang ici ou en camp d’entraînement ! »

Oui! Merci Antoine!  Dans un environnement idéal, le sport de haut niveau est simplement ce lieu où on s’amuse à tester les limites de ses capacités physiques et mentales.

Et pour le gars de sport d’équipe que je suis (mon dépassement et mon plaisir à moi, c’est en jouant au handball que je l’ai trouvé), j’ai aussi été particulièrement touché par l’esprit de solidarité qui semble être au cœur de l’équipe nationale de judo menée par Nicolas Gill et dans laquelle Antoine a joué un rôle central durant la dernière décennie. On sent bien que ce sport individuel (comme bien d’autres) est impensable sans le soutien des partenaires d’entraînement. Même un cœur de pierre ne peut pas rester insensible face à la conclusion de son dernier cycle olympique. Le public n’était pas nombreux cet été aux Jeux olympiques de Tokyo, mais dans ce pays où le judo est pratiquement une religion, on a pu assister à un passage de flambeau alors qu’Antoine est passé, dans la même journée, de triste vaincu d’un combat défensif, qui aura  finalement été le dernier de son illustre carrière, à empathique coéquipier qui encouragera Catherine Beauchemin-Pinard à devenir la première judoka québécoise médaillée olympique.

Toute cette histoire me ramène au chroniqueur Pierre Foglia, si précieux dans la construction de notre culture sportive. Ce cher Foglia qui, le 3 juillet 2008, dans La Presse, parlant d’une autre athlète digne et exemplaire, l’haltérophile (et maintenant médecin) Maryse Turcotte, écrivait, dans son style inimitable:

« Maryse ne sera pas à Pékin. Moi, si. Et au bout de trois jours, quand je n’en pourrai plus de les entendre parler de l’esprit olympique, du rêve olympique, de la mission olympique, des valeurs olympiques, du sens de l’olympisme et que justement ce mot là, à force de le voir traîner partout, même sur les bouteilles de Coke et les casseaux de frites de McDo, n’aura plus aucun sens, sonnera totale bullshit à mon oreille, alors je me souviendrai de Maryse. Je me rappellerai que, au cœur de ma culture et de la sienne, il y a cette intime conviction: les haltérophiles sont aussi nécessaires à la société que les poètes et les médecins. »

Grâce à Nicolas Gill, qui a inspiré Antoine Valois-Fortier, qui a inspiré Catherine Beauchemin-Pinard, il faudrait maintenant ajouter, entre autres, les judokas.

Sébastien Fyfe
Directeur général
Alliance Sport-Études